Fiche d'élevage : Ectatomma tuberculatum

(⚠️Problèmes majeurs ⚠️)

Une étude récente a mis en évidence l’existence de plusieurs populations aux mœurs bien distinctes au sein de l’espèce. Ces différences pourraient encourager la communauté scientifique à diviser Ectatomma tuberculatum en plusieurs espèces dans le futur. Il existerait une diversité d’espèces cryptiques rangées sous un même nom.

On dénombre plusieurs populations :

  • Des populations au Brésil avec polygynie fonctionnelle et de nombreuses lignées (faible lien de parenté entre les ouvrières) ; l’une de ces populations est proche d’Ectatomma vizottoi.

  • Deux populations au Mexique : la première est monogyne stricte, tandis que la seconde, à Veracruz, est polygyne, avec une présence unique de reines parasites miniatures, Ectatomma parasiticum. Ces reines inquilines ne produisent pas d’ouvrières, mais cohabitent avec les reines hôtes.

En parallèle, d’autres régions comme l’Équateur ou la Guyane semblent abriter plusieurs populations, il y aurait coexistence de lignées cryptiques non différenciées taxonomiquement.

Ectatomma tuberculatum est aujourd’hui l’une des fourmis dont la biologie a été la plus étudiée. Il nous est cependant très difficile de déterminer si les caractères décrits dans les publications scientifiques sont communs à toutes les populations de l’espèce.

1) CLASSIFICATION ET SIGNIFICATION :

Famille : Formicidae
Sous famille : Ectatomminae
Tribu : Ectatommini
Genre : Ectatomma
Espèce : Ectatomma tuberculatum

Taxonomiste et année de description : Décrite par Guillaume-Antoine Olivier en 1792 à partir d’un spécimen de Trinidad, sous le nom de Formica tuberculata. Elle est l’espèce type du genre Ectatomma.
Noms vernaculaires : Pas de nom vernaculaire. Cependant, entre 1904 et 1905, le docteur Orator Fuller Cook Jr. utilise le terme Q’eqchi’ de « Cotton-Protecting Kelep of Guatemala » pour décrire l’espèce lors de ses recherches sur la lutte contre le charançon du cotonnier. Ce terme ne semble pas réapparaitre ensuite.

Synonymes et anciens noms utilisés : De nombreux synonymes inutilisées apparaissent dans la littérature : Ectatomma ferruginea, Ectatomma tuberculatum acrista, Ectatomma tuberculatum irregularis, Ectatomma tuberculatum punctigerum, Formica tridentata, Formica tuberculata.

Étymologie genre : Du grec ancien ἐκτός signifiant « extérieur » et ὄμμα signifiant « œil », en référence aux yeux des Ectatomma, qui paraissent exorbités. 
Étymologie espèce : Du latin tuberculum, signifiant « petite bosse » ou « excroissance ». Ce terme est couramment utilisé en taxonomie pour désigner des espèces présentant des structures en forme de tubercules sur leur corps.

2) MORPHOLOGIE ET IDENTIFICATION :

TAILLE OUVRIÈRES : 9 à 12 mm
TAILLE GYNE : 14 à 16 mm
TAILLE MÂLE : 9 à 11 mm

Morphisme : L’espèce est monomorphe ; il n’existe qu’une seule sous-caste chez les ouvrières, bien que la taille des individus d’une même colonie puisse varier légèrement.

Identification : Dans la plupart des cas, cette espèce pourra être distinguée des autres Ectatomma par la combinaison entre coloration orangée et grande taille. En particulier en ce qui concerne les populations plus sombres, elle pourra cependant occasionnellement être confondue avec d’autres espèces du genre ; voir la clé de Kugler & Brown, 1982 (qui n’inclut cependant pas E. vizottoi et E. suzanae, des espèces habituellement plus sombres décrites par Almeida Filho, 1987, ainsi que l’inquiline E. parasiticum, plus petite que les reines d’E. tuberculatum).

Quelques grandes espèces d’Ectatomminae néotropicales comme Gnamptogenys concinna pourraient également engendrer une confusion pour les yeux moins aguerris.

Description et particularités physiques : Ectatomma tuberculatum est une fourmi de couleur variable. Certaines populations sont brunes ou marrons tandis que d’autres sont orangées ou jaunes. Les fourmis du genre Ectatomma sont facilement reconnaissables par leurs larges mandibules et leur gastre courbé. Ce sont des fourmis trapues possédant un aiguillon fonctionnel. La pilosité est moyennement importante. C’est une grande espèce présentant de nombreuses stries.
Les oeufs des Ectatomma tuberculatum ont la particularité d’être noirs, ils sont de forme ovale et ne s’agglomèrent pas entre eux. Les larves sont lisses et mobiles. 
Contrairement aux femelles, le mâle est entièrement noir avec de très longues antennes.
L’aspect visuel des reines change après l’accouplement et le développement ovarien : leur cuticule passe de brillante à mate. Cela est dû à une accumulation d’hydrocarbure (heptacosane) qui recouvrent une partie des sillons présents sur la cuticule de la gyne.

Un couvain avec des oeufs de couleur noir. One Ants

3) BIOLOGIE :

Description du biotope : Les Ectatomma tuberculatum sont distribués dans un large panel de biotope. On les retrouve dans les forêts néotropicales humides (primaires, secondaires et de nuage), dans les savanes comme les Cerrado, dans les forêts sèches comme le Caatinga, dans les zones agricoles (comme les champs de coton ou de cacao), dans les marais, près des littoraux, dans les parcs et jardins botaniques. C’est une espèce vraisemblablement très ubiquiste.

Sous bois néotropical, non représentatif du panel de biotope occupé. Kanemori

Nidification : Dans le cas des populations polygynes, les colonies sont polydomes. Les nids d’Ectatomma tuberculatum sont toujours souterrains et situés à la base des arbres, jamais de façon aléatoire dans le sol ou sur d’autres structures. Cette localisation est constante, même dans des zones à forte densité de colonies. Les colonies de stade de développement avancés forment des cheminées avec des débris organiques, qui remontent le long du tronc.

Démographie : Lachaud décrit des colonies comptant jusqu’à 1  200 ouvrières. Une telle population paraît difficilement atteignable avec une colonie monogyne en captivité. En moyenne, 470 individus sont recensés dans les colonies in natura ; cette valeur semble plus accessible.

Particularités comportementales : De par son organisation sociale, l’espèce (en particulier les populations polygynes) se montre extrêmement dominante et omniprésente dans certains milieux.
Ectatomma tuberculatum a été largement étudiée, car elle est considérée comme un bon agent de lutte biologique contre les ravageurs du coton, du café, du cacao et du maïs. Les colonies sont relativement peu populeuses, mais on recense jusqu’à 1 500 nids par hectare, une densité très importante. Cette densité est rendue possible par un très faible niveau d’agressivité intra-spécifique, permettant le partage des zones de récolte entre plusieurs colonies.

L’espèce est semi-arboricole. Elle est beaucoup plus fréquente sur les arbustes bas et les plantes grimpantes que dans la haute canopée. Des ouvrières peuvent être observées à toute heure, mais l’essentiel de l’activité est nocturne, avec un départ massif du nid au crépuscule.
E. tuberculatum adopte une stratégie de fourragement majoritairement solitaire : chaque ouvrière cherche sa propre nourriture sans coordination de groupe. Ce sont des prédatrices actives de petits arthropodes et des charognardes de grands arthropodes morts. Elles peuvent chasser à l’affut : rester immobile pendant un long moment, en attendant le passage d’une proie pour la happer.
Un polyéthisme d’âge est observé : les ouvrières n’occupent pas les mêmes tâches tout au long de leur vie. L’espèce ne possède pas de jabot social ; elle transporte les liquides sucrés en maintenant une goutte en tension entre ses mandibules pour la ramener au nid. Durant ce transport, l’ouvrière est moins mobile, ce qui a favorisé une forme de parasitisme opportuniste : la cleptobioseUne autre espèce de fourmi, Crematogaster limata, s’est spécialisée dans le vol des ouvrières rentrant au nid. Lors d’un raid, les Crematogaster s’engouffrent dans l’entrée du nid, interceptent les butineuses et grimpent sur elles pour dérober leur liquide sucré. Il n’y a pas d’agressivité interspécifique lors de cette action.
Diana Wheeler suggère que ces interactions cleptobiotiques pourraient représenter une forme primitive de parasitisme social.

Les ouvrières possèdent des ovarioles, dont la maturation dépend en partie de l’âge. Durant les quatre premières semaines de la vie de l’imago, les ovarioles se développent. Leur nombre dépend de la taille des individus. Ils atteignent leur développement maximal vers 45 jours, puis entament une phase de déliquescence, pour devenir atrophiés avant l’âge d’un an.
Grâce à ce mécanisme, les jeunes ouvrières produisent des hormones déclenchant la ponte d’œufs trophiques, très riches en vitellogénine (une protéine hautement bio-assimilable), qui servent de source nutritive à la colonie.

Dans la province de Veracruz, au Mexique, les colonies polygynes d’
Ectatomma tuberculatum peuvent abriter une espèce parasite : Ectatomma parasiticum.
Sur le plan phylogénétique, E. tuberculatum est paraphylétique, car E. parasiticum est imbriquée dans ses lignées génétiques. Cela suggère que E. parasiticum a évolué directement à partir d’une population isolée de E. tuberculatum.

E. tuberculatum entretient de nombreuses relations mutualistes avec les plantes. Ces dernières développent des nectaires extrafloraux (glandes situées en dehors des fleurs) produisant du nectar pour attirer les fourmis. Celles-ci obtiennent alors une nourriture facile, et en retour, leur présence éloigne les herbivores.
Plusieurs espèces végétales sont connues pour entretenir ce type d’interactions : Epidendrum denticulatum, Passiflora spp., Inga spp., Tocoyena formosa, Caryocar brasiliense… La relation peut aussi se complexifier avec certaines espèces de lépidoptères. Enfin, E. tuberculatum est également parasitée par plusieurs espèces de guêpes eucharites, de mouches phorides et de nématodes.

Venin et piqûres : La piqûre d’Ectatomma tuberculatum est rare : les ouvrières n’utilisent leur aiguillon qu’en cas d’urgence, et non pour la chasse. Cependant, leur venin est cytotoxique et particulièrement nocif. Il est composé de 48 protéines, parfois immunogènes, dont l’ectatomine, et présente l’une des plus faibles DL50 chez les fourmis (0,3 mg/kg). Cette espèce est donc à haut risque pour les éleveurs : des cas de piqûres entraînant des cicatrices durables ont été recensés, et un risque de choc anaphylactique est présent.

Alimentation : E.tuberculatum chasse un grand nombre d’insectes. Lachaud rapporte qu’elles n’hésitent pas à se nourrir d’autres fourmis, comme des Atta spp, tandis que d’autres études montrent une appétence pour la consommation d‘Azteca alfari. Une grande part de leur régime repose sur des liquides sucrés : issus des fleurs, des nectaires extrafloraux, de miellat d’Homoptère ou des fruits.

Essaimage : Kaspari suggère des essaimage(s) d’avril/mai à décembre, avec une activité particulièrement intense en août. On peut supposer que, comme d’autres Ectatomma, cette espèce pratique le female calling. Dans certaines localités, les gynes fraîchement fécondées peuvent retourner dans leur nid natal ou se faire adopter par une colonie étrangère. Pour les populations les plus polygynes et les plus polydomes, il est probable qu’un autre mode de dispersion existe en plus des vols nuptiaux : le bouturage.

Gynie : Variable, certaines population présentes des polygynies fonctionnelles primaires et secondaires (les colonies pourraient accepter facilement des reines étrangères), tandis que d’autres sont strictement monogynes.
En moyenne, il y a dans les populations polygynes 4 gynes par colonie, la plus grande colonie recensée en comportait 26. Le nombre de gynes influence directement la démographie de la colonie, car il n’y a aucune hiérarchie de dominance ou comportement agressif observé entre les reines, et elles pondent ainsi toutes activement.

Au-delà de 3 reines, cependant, la croissance du nombre d’ouvrières ne suit pas linéairement. Les colonies polygynes secondaires sont alors des mosaïques composées de plusieurs lignées. Il n’y a pas de discrimination (népotisme) au sein des colonies comportant plusieurs lignées.

Fondation : Semi-claustrale ; les reines chassent des insectes et récupèrent des liquides sucrés régulièrement afin de nourrir leur couvain, avant l’arrivée des premières ouvrières. Après l’arrivée de la première génération, la gyne peut continuer à fourrager pour aider sa colonie. Dejean rapporte que ce phénomène se produit jusqu’à atteindre environ 12 ouvrières.

Cycle de développement : Probablement homodynamique (donc sans diapause), par homologie avec d’autres espèces d’Ectatomma.

4) RÉPARTITION :

Ectatomma tuberculatum est une espèce présente abondamment dans les néotropiques, de 0 à 2600 mètres d’altitude. Elle s’observe de l’extrême Nord de l’Argentine, jusqu’au centre du Mexique.
Selon Smith et Weber, elle aurait été importée par Orator Fuller Cook Jr. au Texas, de 1904 à 1906, pour lutter contre des ravageurs des champs de coton. Nous n’avons pas trouvé de trace récente de cette population texane. 

5) ÉLEVAGE :

Température de maintien : Variable. Des températures comprises entre 22 °C et 28  °C dans le nid devraient convenir à toutes les populations. Il est fortement conseillé de créer un point chaud et un point froid. La préférence thermique varie particulièrement en fonction de la zone de récolte.

Hygrométrie : Variable selon la provenance. Elle devra être le plus souvent d’environ 70  %. Veillez à ce que le sol ne soit pas détrempé, pour le bien du couvain : les Ectatomma apprécient un sol sec. Il est conseillé de créer un gradient hygrométrique dans le terrarium.

InstallationEctatomma tuberculatum peut très bien être élevée dans un nid en béton cellulaire. Cependant, compte tenu de son fourragement semi-arboricol, nous vous conseillons d’opter pour un terrarium tropical.
Un substrat stable, aéré et compact sera de rigueur (mélange d’humus, d’argile et de déchets organiques), et un système de drainage pourrait être envisagé. Elles creuseront énormément et pourront profondément modifier le paysage du terrarium. Nous vous conseillons également d’ajouter une microfaune abondante ainsi que des détritivores, comme des collemboles, des iules, des cloportes, des gloméris, etc. Vous pourriez par ailleurs y ajouter des plantes à nectaires extrafloraux.

Il est conseillé d’ajouter des morceaux de feuilles mortes dans la litière, ainsi que des lianes ou des bouts de bois grimpants. Ectatomma tuberculatum, étant semi-arboricole, privilégiez la hauteur et utilisez donc tout l’espace disponible dans le terrarium. Elles ne grimpent pas sur les surfaces lisses.

One Ants (ce terrarium est relié à un nid Ytong externe)

Terrarium de Yann LeBestiolarium (les fourmis creusent directement dans le substrat), photographie par One Ants

Foreuse ? : Probablement pas foreuse.

Diapause : Pas de diapause.

Fondation : Semi-claustrale. La reine sera installée dans un module de fondation avec une aire de chasse et du substrat (ou dans un petit terrarium), elle devra être nourrie régulièrement avec des insectes et du liquide sucré tout au long de la fondation. Veillez à maintenir la gyne dans le plus grand calme, la fondation peut s’avérer assez longue (environ 60 jours de l’oeuf à l’ouvrière).

Terrarium de fondation de One Ants

Alimentation en élevage : Cette espèce demande une grande quantité d’insectes fraîchement tués. Il faudra veiller à varier les proies en les adaptant à la taille de la colonie. Elle devra être nourrie plusieurs fois par semaine avec des protéines. Les liquides sucrés (et autres aliments : jelly, fruits…) devront cependant constituer la principale composante de leur alimentation. En terrarium, elles se nourrissent parfois grâce aux nectaires de Passiflora helleri (voir fiche de culture) , mais cela ne remplacera pas un apport extérieur de nourriture.

Reproduction : Deux populations (monogyne et polygyne : Veracruz, Mexique) de cette espèce ont été reproduites en laboratoire, en France. Pour ce faire, des femelles ailées ont été isolées dans des ADC humides, avec substrat et éclairage. Elles ont ensuite été mises en contact avec des mâles provenant d’autres colonies. De nombreux mâles perdent la vie avant de s’être accouplés. Cependant, si l’accouplement a lieu, la femelle va se désailler et pourra être placée dans un set-up de fondation (ou retourner dans une colonie si elle appartient à une espèce polygyne secondaire).

Difficulté d’élevage : Espèce de difficulté intermédiaire. Une fois la fondation passée, l’élevage de cette fourmi n’est pas compliqué. Cette espèce est idéale pour les amateurs de grandes fourmis colorées et actives en continu. La seule difficulté avec cette espèce est sa piqûre, particulièrement toxique, qu’il faudra savoir prévoir et éviter. Nous déconseillons donc cette espèce aux jeunes éleveurs, ainsi qu’aux personnes ayant un terrain allergique ou vivant avec des personnes allergiques. Cette fourmi, étant peu agressive envers l’humain, pourra aisément piéger les éleveurs qui penseront pouvoir la manipuler sans risque.

Sources et Crédits :

Publications myrmécologiques :

Sites Internet :

  • Antcat.org
  • Antwiki.org
  • Antmaps.org
  • Antweb.org (https://www.antweb.org/description.do?genus=ectatomma&species=tuberculatum&rank=species&project=allantwebants)
  • Inaturalist.org
  • https://eol.org/pages/614705/article

Merci à Baptiste Piqueret et à Hugo Le Lay pour leurs conseils sur la reproduction d’Ectatomma tuberculatum.

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